Les États-Unis dépensent une tonne d’argent pour les transports publics. Alors pourquoi sont-ils si mauvais ?
Les bus, les métros et les lignes de tramway américains affichent systématiquement des taux de fréquentation inférieurs, des heures de service réduites et des temps d’attente plus longs entre les trains que ceux de pratiquement tous les pays européens et asiatiques dont les ressources économiques sont similaires. Comme dans de nombreux pays, une partie des dépenses liées aux transports au commun sont financées par les taxes et impôts payés par les contribuables. Certains Américains commencent à se questionner sur l’intérêt de l’investissement pour les Américains ou à l’inverse comment rendre cet investissement attractif.
Un constat historique et géographique
De nombreuses personnes tentent d’expliquer ce paradoxe en invoquant l’histoire et la géographie des États-Unis. La plupart des villes et banlieues ont été construites après les années 1950, lorsque la voiture est devenue le mode de transport dominant. En conséquence,les métropoles sont développées sur un mode tentaculaire, centrées sur l’automobile, qui ne peut pas être facilement desservie par les transports publics.
Ce déploiement des habitations dans des banlieues, parfois très éloignées des centres historique, financier, culturels, se démontre dans de nombreux états. La plupart des villes américaines sont relativement récentes et ont donc été construites principalement dans l’optique de la voiture. Elles s’étalent, avec des banlieues en cul-de-sac au lieu d’un réseau serré. De plus, les distances entre les différents quartiers des villes sont parfois très grandes, rendant l’emploi des transports en commun difficile pour répondre au besoin de déplacement rapide et facile.
Tout cela rend les transports en commun rapides et rentables beaucoup plus difficiles. Après tout, il est plus coûteux pour une ligne de train ou de bus de desservir le même nombre de personnes réparties sur une zone plus étendue. Les autoroutes, les routes sinueuses et les culs-de-sac rendent également difficile l’accès à pied aux arrêts de bus, aux stations de métro et aux autres destinations. Le fait que les vieilles villes américaines dotées d’un réseau de rues d’avant-guerre (comme New York, San Francisco et Chicago) affichent les taux les plus élevés d’utilisation des transports en commun aux États-Unis semble confirmer cet argument.
Cependant, un contre-exemple oblige à pousser plus loin la réflexion : le Canada. En effet, ce pays a aussi développé des métropoles sur un mode tentaculaire, mais les transports en commun sont plus adoptés par la population. Des spécialistes en transport en commun comparent des villes culturellement proches telles que Portland (USA) et Vancouver (Canada), et montrent des différences fortes entre elles pouvant jusqu’à cinq fois plus de services de transport en commun pour les villes canadiennes. En plus de la quantité, il faut également noter une plus forte adoption des transports en commun dans le quotidien des Canadiens.
Pourquoi les transports en commun non pas un franc succès aux États-Unis?
À une époque où la voiture est devenue le principal mode de transport, les pays ou les métropoles ont dû faire des choix dans les infrastructures de déplacement. En France, bien que la voiture prenne une forte place au quotidien, il a été décidé de continuer à miser sur les transports en commun en les développant (bus, métro, tramway…). Cela se retrouve aussi dans certaines villes américaines comme New York dont le réseau urbain de transport en commun est complexe et très étendu.
Au contraire des villes ont fait le choix de mettre de côté les transports en commun pour offrir une place privilégiée aux voitures. « En 1912, Boston disposait d’un excellent système de transport public, avec quatre lignes de métro et des tramways qui l’alimentaient« , explique Alon Levy, blogueur spécialisé dans les transports publics. « Puis ils ont passé les 60 ou 70 années suivantes à le détruire« .
Pour New York, le choix des transports en commun semble indispensable dans cette métropole où vivent plus de 8 millions d’habitants. La ville qui a grandi à l’horizontale, mais aussi à la verticale, ne pouvait pas se permettre de mettre la voiture à l’honneur sous peine de voir des bouchons non résorbables. Il existe d’autres exemples aux États-Unis, comme à Washington, mais pour la plupart des métropoles le choix est inverse et pour plusieurs raisons.
Cette divergence entre les États-Unis et l’Europe remonte à la reprise par les municipalités, dans les années 1950, des sociétés privées de tramways et de bus, qui avaient en grande partie fait faillite, dans de nombreuses villes américaines.Le déclin de ces services de transport en commun s’explique par plusieurs raisons. Les sociétés étaient liées par des contrats qui leur interdisaient d’augmenter leurs tarifs et les obligeaient à entretenir les routes, tandis que l’augmentation du trafic automobile rendait les tramways extrêmement lents. Lorsque les villes ont repris ces sociétés (et ont converti leurs lignes de tramway en autobus), c’était dans l’idée qu’elles maintiendraient ces systèmes comme une sorte de service social.
À cette époque, être propriétaire d’une voiture était un signe extérieur de réussite sociale et de richesse. La voiture n’était pas accessible pour tous et les transports en commun étaient donc le seul moyen de se déplacer pour les classes moins favorisées. Aujourd’hui encore, les villes américaines considèrent les transports en commun comme de l’assistanat. De nombreux politiciens locaux ne considèrent pas le transport en commun comme une fonction de transport vitale – ils le considèrent plutôt comme un programme d’aide gouvernementale destiné à aider les personnes pauvres qui n’ont pas de voiture.
Aujourd’hui le constat est le même qu’au début du XXe siècle. Le prix des transports n’augmente pas ou très peu avec le temps, pour permettre à toutes les classes économiques de les emprunter. Cependant, les coûts d’entretien des infrastructures ne font qu’augmenter, la création de nouvelles lignes est un coût que les entreprises ne peuvent pas se permettre. Pour répondre à cette problématique, les sociétés diminuent l’offre de transports rendant les transports en commun de moins en moins attrayant. Le cercle vicieux se resserre donc de plus en plus.
Une autre raison, qui découle directement de la précédente, est le manque d’attractivité des réseaux pour franchir le pas et arrêter d’utiliser sa voiture. Les systèmes de transport en commun de villes comme Londres et Toronto, par contre, ont des tarifs plus élevés et des services plus fréquents, ce qui en fait des options intéressantes pour les personnes qui possèdent une voiture.
Les politiques publiques ne sont pas toujours en accord avec l’idée d’un réseau plus étendu, plus fréquent, plus attractif. Le parti conservateur fait souvent part de son refus d’investir dans une nouvelle mesure sociale, dédiée aux classes sociales pauvres. En parallèle, le coût d’une forte transformation des habitudes du pays peut effrayer de nombreux dirigeants. En effet, excepté quelques villes, la tâche est colossale pour offrir un maillage suffisant sur les étendues que représentent les métropoles américaines.
Des solutions?
Il existe différentes solutions pour répondre aux besoins des transports en commun. La fréquence et la densification du réseau semblent être le point le plus important. Sans la possibilité de ne pas perdre de temps dans les transports, de pouvoir se rendre d’un point A au point B facilement, il sera difficile de faire adapter le bus, le métro, le train de banlieue…
Des points d’amélioration sont aussi à prendre en compte en fonction du réseau. Par exemple, les arrêts de bus aux États-Unis sont très rapprochés les uns des autres, par rapport à d’autres pays. Les espacer permettrait d’augmenter la vitesse et la fréquence des bus, mais cela peut s’avérer difficile sur le plan politique, car cela est considéré comme un préjudice pour les personnes âgées et les personnes handicapées.
Le placement des hubs de bus pourrait être mieux placé. Ainsi les personnes de banlieues pourraient facilement se rendre en première couronne pour emprunter des bus qui leur permettront d’aller au centre-ville. Aujourd’hui la majorité du trajet se fait en voiture, alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout en voiture. Par exemple, la ville de Houston a mis en œuvre un certain nombre de modifications de ses lignes de bus en rendant le système moins orienté vers le centre-ville et en augmentant la facilité de transfert pour aller d’une banlieue à une autre.
Des leçons peuvent être tirées des solutions mises en place en Europe, mais il faut garder à l’esprit que les distances de déplacements sont beaucoup plus élevées que celles parcourues quotidiennement dans les pays européens.